Felix PASQUIER (1874-1895)
La personnalité et l’activité débordante de Félix Pasquier marquèrent profondément les Archives départementales de l’Ariège et de la Haute-Garonne mais aussi toute la vie culturelle de ces deux départements. Né à Paris en 1846, Félix Pasquier fit ses études secondaires à Poitiers, pays de sa mère, et supérieures à Paris où il obtint en 1873 son diplôme d’archiviste-paléographe et en 1875 celui d’avocat. Il fut nommé archiviste de l’Ariège en 1874 et ne quitta Foix qu’en 1895 pour rejoindre les Archives de la Haute-Garonne. Retraité récalcitrant à 75 ans en 1921, il ne cessa ses activités de recherche et d’animation de sociétés savantes qu’à sa mort, survenue à Toulouse en 1929. |
Félix Pasquier fit aux Archives de l’Ariège une œuvre essentielle de réintégrations. Diplomate mais tenace, il obtint des versements psychologiquement «difficiles». L’opération la plus conflictuelle fut certainement la réintégration des archives de l’évêché de Couserans conservées alors à la mairie de Saint-Lizier. Le maire et son conseil municipal s’opposèrent frénétiquement au départ de ces papiers malgré des décisions ministérielles en 1874 et 1875, contestant quasiment l’existence du département et du siège à Foix des institutions départementales : «le comté de Foix est un et le Couserans dont Saint-Lizier était la capitale est un autre». En 1876 encore, le maire affirmait qu’il ne se dessaisirait de ce fonds que si la préfecture «jugeait convenable d’user de la violence». On usa en tout cas de violences verbales et épistolaires et le sous-préfet de Saint-Girons finit par obtenir la remise du fonds, incomplet tout d’abord et rétabli dans son intégralité sur une nouvelle intervention de l’archiviste. Les archives de l’évêché de Pamiers, elles, étaient conservées dans une tour de la cathédrale et c’est sans heurts cette fois que F. Pasquier obtint de l’évêque leur remise en 1886, complétée de dons d’érudits appaméens. Il eut par contre à gagner encore une dure partie face au président du Tribunal de Pamiers qui refusait le versement des minutes et dossiers de procédures de la sénéchaussée ; ce fonds, qui représentait la moitié de la totalité du dépôt historique de la préfecture !, n’entra aux Archives qu’en 1877 après plusieurs interventions du préfet et du Conseil général auprès du Garde des Sceaux. En 1876 par ailleurs, le greffe de Foix avait versé de nombreuses liasses de justices secondaires «oubliées» en 1866.
Félix Pasquier traita en 1877-1878 avec son collègue des Pyrénées-Orientales le transfert de 120 liasses environ de l’intendance de Roussillon concernant le pays de Foix, ce qui constitue le plus gros de l’actuelle série C. Il reçut des archives de la Haute-Garonne en 1878 des documents provenant de l’évêché de Rieux et concernant les abbayes et couvents de Combelongue, Lézat, le Mas-d’Azil, le Fossat, Pamiers et Mirepoix, en 1883-1886 de nombreux registres paroissiaux du greffe du tribunal de Toulouse dont le registre protestant de 1788 et des Archives du Tarn-et-Garonne en 1881 un fonds important de minutes notariales et reconnaissances du Séronais ainsi que des procès verbaux d’assiette des diocèses de Mirepoix, Comninges et Rieux.
Ses tournées nombreuses dans les communes lui permirent non seulement de faire prendre conscience du soin à apporter aux archives mais encore de faire réintégrer aux Archives départementales des documents intéressant le département et tout particulièrement des documents d’époque révolutionnaire. Ce fut en effet un autre grand mérite de F. Pasquier que de reconstituer une série révolutionnaire susceptible de répondre aux demandes des chercheurs. Les archives des institutions départementales et apparemment, de district, avaient disparu dans l’incendie de 1803. Celles des municipalités de canton restaient pour la plupart dans les mairies de chef-lieu. Pasquier visita ces mairies et fit verser les papiers cantonaux qu’il y trouva (particulièrement complets à Saint-Ybars et Daumazan et très lacunaires en Couserans) et récupéra par la même occasion des actes des administrations centrales et de district qu’il compléta par quelques pièces récupérées dans les locaux du présidial de Pamiers, composant ainsi une série L fort honorable.
Ce sont probablement son dynamisme, son intégration à la société locale et l’intérêt évident qu’il portait au patrimoine ariégeois qui suscitèrent un grand nombre de dons privés aux Archives : bien des pièces isolées, parfois de très grand intérêt telles les coutumes de Fossat données par M. de Serres en 1879, le cartulaire de Miglos par A. Garrigou en 1876 et tant d’autres, mais aussi des fonds importants tels les deux coffres du chartrier de Tersac-Montberaud et les quarante liasses de comptabilité du diocèse de Couserans, don de M. de Tersac en 1875 venant compléter le fonds réintégré de Saint-Lizier, des livres de raison et autres documents de famille des Fournier d’Ax (1882) ou 60 chartes données par l’ancien archiviste Orliac en 1877. Il pratiqua également, lorsque l’occasion s’en présentait, une politique d’acquisition qui amena entre autres en 1895 le cartulaire de Vicdessos.
Soucieux de rassembler le plus de matériaux possible aux Archives de l’Ariège, F. Pasquier fit relever par des étudiants les analyses de tous les documents intéressant le département dans la collection Doat de la Bibliothèque nationale et ceux des fonds de la Réformation des Eaux et Forêts des Archives de la Haute-Garonne et entreprit la constitution d’une collection de brochures historiques.
F. Pasquier continua le classement des séries anciennes et fit publier le premier des inventaires du service, celui de la série B, en 1894. Il organisa parallèlement les archives contemporaines en les faisant classer dès leur entrée, secondé en cela par un aide-archiviste, Jean-Paul Boy de 1876 à 1886 puis Léon Denjean dont il loua toujours les services. Il collabora enfin de très près à l’inventaire des archives du château de Léran entrepris par Siméon Olive.
Parallèlement à cette œuvre archivistique considérable, Félix Pasquier anima toute sa vie, même après son départ pour Toulouse, la recherche historique et la conservation du patrimoine en Ariège. Il présida à la fondation en 1882 de la Société ariégeoise des Sciences, lettres et arts dont il fut le secrétaire général de 1882 à 1922 puis président de 1922 à sa mort et fit partie du comité d’initiative pour la création d’un musée de l’Ariège dès 1881. Il mena de nombreuses campagnes pour la conservation des monuments dont huit pour le seul classement de remparts gallo-romains de Saint-Lizier. Vivement intéressé par la langue occitane, il encouragea le lancement en 1891 de l’Almanac patoues de l’Ariejo , attira les Félibres d’Aquitaine qui organisèrent des concours à Foix en 1886 et 1892 et, ami de Mistral, prononça en 1909 le discours d’inauguration de la statue du plus célèbre des félibres.
Il écrivit inlassablement. Les 270 titres que comporte sa bibliographie témoignent de sa fécondité et de l'étendue de son champ d’intérêt : multiples éditions de textes d’archives avec introductions historiques (dont les chroniques romanes des comtes de Foix de Miegeville et Esquerrier, le Mémorial historique de Delescazes, récit des guerres de religion, et le cartulaire de Mirepoix), états de sources archivistiques, inventaires de richesses d’art, études d’archéologie et d’histoire de l’art, d’histoire du droit médiéval (notamment statut de l’Andorre et chartes de coutumes), de folklore… Editeur de textes languedociens, d’Amilia, chanoine du XVIIe siècle, à Tribolet, poète du XIXe s., en passant par des curés de campagne, il rédigea lui-même des contes «patois» sous les pseudonymes de Priscus et de Viator.
Son intérêt pour tout ce qui était ariégeois le fit s’enthousiasmer, hors des sentiers de l’érudition, pour la traditionnelle fête de Foix du 8 septembre : il se montra assidu aux séances de la commission d’organisation dont il fut le vice président permanent, même de Toulouse, et jusqu’à l’année qui précéda sa mort, il ne manqua pas un quadrille d’honneur. Lorsqu’il quitta Foix, la ville offrit un bal sur les allées de Villote qui ne se termina qu’au matin par la farandole que F. Pasquier s’enorgueillissait d’avoir donné à ses concitoyens. Lui même jugea avec humour son œuvre dans le département : «Les Fuxéens oublieront mes travaux historiques mais ils ne laisseront pas tomber la farandole et par elle je suis assurée de vivre dans leur souvenir».